Actualités

Quelles mutations pour les acteurs de la formation professionnelle ?

Ce séminaire organisé par Akto Bourgogne/Franche-Comté et Emfor (réseau Carif-Oref) en partenariat avec le Conseil régional BFC, a réuni OF (organismes de formation) et financeurs à la Maison des entreprises de Dijon le 12 novembre dernier. Cet événement vient clôturer un cycle de webinaires concernant les mutations majeures du secteur. Face à un public de 70 participants, notre collaborateur Xavier Marchand a développé 5 points-clés :

  1. La nécessité pour les OF de changer de modèle économique afin de s’adapter à la baisse des marchés publics et leur réorientation vers les métiers en tension ;
  2. Les mutations du rapport au savoir, en lien notamment avec le potentiel formatif de l’IA ;
  3. La relation entreprise renouvelée grâce à l’AFEST ;
  4. Les impacts organisationnels de la mise en place de la multimodalité ;
  5. Les bénéfices de l’évaluation des effets de la formation.

Ces thèmes ont fait écho à la conférence de Stéphane Balas – Enseignant-chercheur au CNAM, laboratoire “Formation et apprentissage professionnel”. Intitulée : « La formation : entre dilemmes et pensées magiques », sa prise de parole a remis le travail au centre du développement de l’individu en activité de travail.

(Pour aller plus loin, une récente publication du Céreq sur les transformations du marché de la formpro : https://www.cereq.fr/communique-les-transformations-du-marche-de-la-formation-professionnelle-depuis-la-reforme-de-2018)

Retrouver ci-dessous l’article de l’AEF par Alexandra Caccivio , publié le 27/11/2024| Dépêche n°721269

Bourgogne-Franche-Comté : Akto et la région accompagnent par la formation les OF pour qu’ils développent le conseil

Akto et la région Bourgogne-Franche-Comté ont financé une formation à destination des OF qui vient de se conclure après cinq webinaires. Beaucoup d’organismes sont entrés dans une relation dans laquelle ils jouent le rôle de conseil auprès de l’entreprise, interrogeant le travail et cherchant à développer le potentiel économique de l’entreprise, explique Xavier Marchand, chargé d’animer pour le cabinet Didaction la conférence de clôture. Il tire à cette occasion le bilan des enjeux évoqués lors des webinaires et évoque avec un chercheur les « dilemmes » auxquels les OF doivent se confronter.

388 participants, issus des organismes de formation, ont participé à l’action de formation financée en Bourgogne-Franche-Comté par Akto et par le conseil régional, avec l’appui du Carif-Oref). AEFinfo

388 participants, issus des organismes de formation, ont participé en 2024 à l’action de formation financée en Bourgogne-Franche-Comté par Akto et par le conseil régional, dans le cadre de la convention qu’ils ont signée en 2021 et qui associe le Carif-Oref Emfor.

Sur l’année, cinq webinaires sur des thématiques « à forts enjeux » se sont tenus entre janvier et septembre, avant une conférence en présentiel le 12 novembre 2024, à Dijon (Côte-d’Or). La conférence de clôture a marqué l’occasion de faire le bilan des grands enjeux et des contradictions que les organismes de formation doivent relever.

LES CHANGEMENTS DANS L’ENVIRONNEMENT DE LA FORMATION ET LEUR IMPACT

Un marché qui a changé. « L’ubérisation de la formation » met à mal « le modèle des organismes de formation qui, avec des mètres carrés, des salariés en CDI et un catalogue de formation, est en fin de vie », résume ainsi Xavier Marchand, psychologue du travail au sein du cabinet de conseil Didaction. Mais, avec 11 secteurs professionnels sur les 17 référencés par l’Insee en pénurie de compétences, la formation n’est pas moribonde, « les entreprises ont besoin de vos compétences », rassure-t-il.

Une pédagogie qui s’adapte, mais pas assez. La pédagogie basée sur des mises en situation aurait dû se développer avec l’Afest. « Elle a des effets bluffants » comme l’atteste l’expérience des MFR « qui y recourent depuis longtemps » en donnant « la parole en premier à l’apprenant qui apporte ce qu’il sait », explique Xavier Marchand. Les OF, dans les faits, recourent « très très peu » à l’Afest: « elle demande d’aller dans l’entreprise or votre modèle économique ne le permet pas », constate-t-il.

L’évaluation de la formation comme moteur de changement. L’évaluation doit permettre de juger de la qualité et de l’efficacité d’une formation (le retour sur l’investissement). Mais depuis 1971 et le livre blanc de Jacques Delors, « on n’évalue rien, rien qui intéresse les chefs d’entreprise et les managers ». Il existe pourtant des outils pour le faire. « La méthode Kirkpatrick est intéressante car elle va jusqu’à regarder l’intégration des acquis dans les pratiques professionnelles (niveau 3) voire, c’est le niveau 4, les effets que produit la formation sur le modèle économique de l’entreprise. » Pour Xavier Marchand, « cela va changer votre relation avec vos clients », tout en donnant « de la valeur au travail que vous faites au quotidien ».

Certains OF ont déjà pris le virage ainsi qu’en témoigne un des participants expliquant que, « d’organisme de formation, on est passé en société de conseil, parce que l’interlocuteur, c’est le patron, qui attend un conseil. La conséquence de l’analyse du travail et de la prestation de conseil, c’est qu’on met en œuvre une offre multimodale, très adaptée, qui nous permet d’être niveau 4 Kirkpatrick ».

Ce cas n’est pas isolé : « Il y a pas mal d’organismes de formation qui sont entrés dans une relation dans laquelle l’OF développe les compétences et le potentiel économique de son client ou partenaire, avance Xavier Marchand. C’est un vrai sujet. C’est un changement de posture. L’OF n’est pas un prestataire à qui on envoie des gens. De plus en plus, l’OF pose des questions sur l’organisation, le management et le travail, va chercher du budget pour cela, fait de la prospection commerciale pour ça, recrute pour ça. […] Monter des dossiers de financement prend du temps. Tous les organismes n’ont pas la possibilité de le faire. Mettez à contribution des structures qui sont là pour vous y aider. Ça peut être des Opco, des cabinets de conseil, des structures associatives, des structures publiques institutionnelles qui vont aider à monter des dossiers de financement et se payer dessus pour que ce soit transparent pour vous. »

DEPASSER LES LIEUX COMMUNS

Dans ce cadre mouvant, les OF sont invités à réfléchir sur les questions « particulièrement sensibles » que Stéphane Balas, enseignant-chercheur au Cnam et chercheur au sein du laboratoire Formation et apprentissages professionnels, appelle « dilemmes ». « Ces dilemmes, ce sont des situations où on doit faire un choix difficile, qui implique de renoncer à une autre solution qui peut être intéressante », dit-il, invitant également les OF à « réinterroger les lieux communs » qui brouillent la façon de penser les évolutions souhaitables (lire l’encadré).

QUELQUES LIEUX COMMUNS

Parmi les idées véhiculées : affronter en formation l’ensemble des situations de travail garantit d’avoir à la sortie un professionnel compétent. Mais « une situation de travail, ce n’est pas uniquement ce que le patron en dit », souligne Stéphane Balas. La formation doit donc plutôt permettre « de travailler quelques situations en profondeur pour construire à partir de là une manière de faire face ». « Quand on voit le référentiel du CAP, il est exhaustif, avec parfois pas loin de 100 pages qui décrivent les activités (les tâches que les gens doivent faire) – alors que ça ne sert à rien parce que demain le monde sera différent », illustre-t-il.

Autre idée véhiculée en formation : « plonger les personnes dans l’activité professionnelle réelle suffirait ». « L’Afest y a contribué » alors que pendant des années « on ne s’est pas intéressé à la réalité du travail ». Cependant, il faut des techniques d’observation du travail, pour comprendre ce qui est important. « Si on plonge les apprenants dans le travail, sans analyse, on crée une situation de stress, on ne produit pas un espace apprenant, détaille Stéphane Balas. Il faut accompagner en ayant pris le soin de faire une analyse préalable des ressources et des contraintes liées à la situation de travail. C’est ce qui pêche le plus dans les démarches Afest. Quels sont les dilemmes à affronter ? Quelles sont les réactions émotionnelles ? Quelles sont les ressources qu’on peut trouver ? Quelles sont les informations qu’on prend ou ne prend pas ? Etc. Cela nécessite de passer du temps sur le terrain à questionner, requestionner, filmer éventuellement. »

DES CHOIX A FAIRE

Premier dilemme : morcellement ou professionnalisation ? « Si la formation des adultes est à l’origine une démarche d’émancipation et de droit social, elle va vite devenir une formation professionnelle des adultes », qui nécessite un dispositif systémique pour fabriquer un professionnel, rappelle Stéphane Balas. « En parallèle, on demande d’aller de plus en plus vite, ce qui demande des dispositifs modulaires – avec des modalités qui pensent peu le rapport entre les ‘morceaux' ». Cette vision « fait le pari que l’addition des parties sera égale à un tout ; qu’une qualification peut s’acquérir par addition de manière accélérée. Ma question est : veut-on former des professionnels compétents c’est-à-dire durables ou conformer les individus à des tâches ? […] Je pense qu’il faut trouver un juste équilibre entre les deux modèles. Évidemment on ne peut plus faire des formations de 2 000 heures mais se pose la question de ‘jusqu’où aller dans le morcellement ?' »

Deuxième dilemme : formation ou certification ? « Aujourd’hui, la loi de 2018 dit que ne sont finançables par le CPF que les formations débouchant sur une certification, à quelques exceptions près ». Auparavant et depuis longtemps, pour qualifier un niveau de formation, on se basait sur une durée de formation », jusqu’à une bascule à partir des années 1980 où « nous sommes passés à un modèle basé sur un référentiel », relève le chercheur. « La question que je pose est : la certification ne néglige-t-elle pas les véritables processus d’apprentissage qui requièrent du temps, au profit d’une transformation comportementale de surface qui finalement ne résiste pas aux aléas du réel ? » Le chercheur le constate : les gens, souvent, « sont formés à aller chercher une certification » qui ne garantit pas les compétences professionnelles une fois de retour en entreprise.

Troisième dilemme : le même ou le singulier ? « L’enjeu de la formation professionnelle est de permettre à des individus de devenir des professionnels compétents (ou plus compétents pour ceux déjà en poste), avance Stéphane Balas. […] Mais qu’est-ce qu’un professionnel compétent ? Est-ce que c’est quelqu’un qui coche toutes les cases d’une grille d’évaluation ? Vous savez que ce n’est pas le cas. Un professionnel compétent c’est celui qui, dans des situations de travail toujours inédites, est capable de s’ajuster finement à l’imprévu. Être compétent, c’est faire ce qu’on ne sait pas faire, c’est apporter des réponses transgressives parfois. […] N’y a-t-il donc pas un paradoxe dans la posture où on prépare des personnes à des réponses normatives alors qu’on cherche à fabriquer des personnes avec des postures créatives ? […] Aujourd’hui on est plutôt dans l’idée d’un monde qu’on peut maîtriser, c’est rassurant, mais ce n’est pas la réalité. Résultat : les formations professionnelles reproduisent un conformisme homogénéisant le comportement des individus dans des situations où l’avantage concurrentiel est dénié. »

Le chercheur cite un exemple sur lequel il a travaillé et publié. « Dans un Bac pro électricité, lors du Bac blanc, une des épreuves consiste à remettre en route une armoire électrique en panne », explique-t-il. Dans les débats, au sein du jury, ensuite, il a pu observer que pour certains seul le résultat comptait (l’armoire a été remise en route donc il faut valider l’épreuve) tandis que d’autres pensaient qu’il fallait que le candidat ait pratiqué une démarche méthodique (parce que la remise en route pourrait tenir du hasard). « C’est un débat légitime. […] Mais, de mon point de vue, il y a une troisième hypothèse qui est complètement absente ici, qui est de dire que le candidat a adopté une démarche méthodique singulière, inattendue, créative, qu’il est capable d’exposer. »

LES CONCLUSIONS DE XAVIER MARCHAND

La formation, pour Xavier Marchand, a « un rôle démocratique fondamental » : elle doit viser à construire les conditions d’une insertion professionnelle durable et épanouissante. Pour cela il pose quelques principes.

  • Renforcer question de la centralité du travail et sa compréhension. « Le travail ça n’est pas ce qui est écrit fans le référentiel et ça n’est pas non plus uniquement ce que disent les DRH », souligne-t-il car le travail, c’est aussi l’expérience des individus.
  • Adapter sa pédagogie en distinguant l’informatif et le formatif. Les moments de formation en face-à-face doivent se concentrer sur ce qu’on ne peut pas faire autrement.
  • Accompagner l’apprenant dans l’agrégation des parties en lui demandant, par exemple, de faire un bilan réflexif de son parcours.
  • S’appuyer massivement sur l’expérience des apprenants et la dynamique du groupe.
  • Ne pas considérer que les demandes de l’entreprise sont « des besoins » mais construire un rapport réflexif avec elle – ce qui constitue « un nouveau pan du métier de formateur ».
  • Xavier MARCHAND

    Psychologue du travail, consultant en organisation et développement des compétences pour le cabinet Didaction Conseil, filiale du Groupe Amnyos

    Pour plus d’information, contactez-moi –mail

Retour à la liste
Actualité précédente
Actualité suivante
Retour haut de page